Old ladies

           Restauration d’une guitare Texas (Jacobacci, Major, RV Tonemaster – Steve Brammer) de 1959

 

   

Depuis la Gibson Les Paul STD sunburst d’Eric Clapton et la Grestch 6120 orange de Brian Setzer on sait quelle influence peut avoir la notoriété d’un artiste sur la cote d’un instrument vintage et comment elle peut propulser irréversiblement vers des montants hors de portée (en tout cas pour la première) du guitariste ou du collectionneur lambda des guitares qui avaient jusque-là pris le soleil dans la devanture d’un pawnshop.

 
   

   

 

https://www.youtube.com/watch?v=S4rfx9Hyq5I

 

Les Chats Sauvages - Est-ce Que Tu Le Sais?

 
   

Il n’en va pas autrement pour les Jacobacci de l’époque Major et plus une Ohio ou une Texas se rapprochera exactement des modèles joués par Johnny Hallyday, les Chaussettes Noires ou les Chats Sauvages, plus cher il vous en coutera. Si l’Ohio manche bois et jack sur la plaque de Johnny ou les deux Ohio spéciales des Chaussettes noires n’ont pas encore réapparu, il vous faudra tout de même dépenser du simple au double pour une Ohio dans son état d’origine avec la plaque de protection blanche (la préférée de la deuxième vague des groupes français, Les Mercenaires en tête) par rapport au modèle suivant, équipé d’une plaque noire.

A quelques jours du bouclage « Guitares Jacobacci, un atelier de lutherie à Paris » et avant que son propriétaire ne nous envoie les photos de cette Texas 1959 3 micros  nous désespérions encore de mettre la main, pour la faire figurer sur le livre, sur une Texas gold top (pour reprendre, pour simplifier, la terminologie Gibson) avec le cordier « une vague », proche de celui des Royal, qui équipait les premières versions du modèle.

 
   

 
   

Au mois de décembre 2012 cette  guitare est proposée aux enchères, sans réserve mais avec un prix de départ de 1.500 EUR sur Ebay France. Les photos ne sont pas extraordinaires , la guitare semble dans un triste état, mais la description qu’en fait le vendeur est en tout point exacte : référence aux Chats Sauvages (la guitare a le cordier « une vague », 2 micros RV Tonemaster, la construction sandwich du corps), date de l’instrument et chronologie du modèle, et elle est effectivement presque complète : mécaniques SB, micros, attache courroie, chevalet ainsi que la plaque ovale, en métal chromé, qui reçoit la prise jack (autant de pièces difficiles voire impossibles à retrouver). Manquent seulement à l’appel les boutons originaux des potentiomètres (les rondelles en métal chromé sont bien là) et la plaque arrière en celluloïd, cristallisée et désagrégée depuis longtemps. La plaque de protection n’est peut-être (sans doute) pas d’origine mais sa patte d’attache chromée, oui. Le chevalet est du type Royal  alors que la guitare de J.-C. Roboly était équipée d’un chevalet Lustigman, réglable. Les enchères se terminent sans qu’elle ne trouve preneur.

 
   

Sous le jupon de la pauvre Hélène
Sous son jupon mité
Moi j´ai trouvé des jambes de reine
Et je les ai gardées ...

 
   

Après avoir vainement essayé de la marchander (il nous en coutera bien 1.500 EUR), nous achetons la guitare pour la restaurer dans l’esprit de la Texas de Jean-Claude Roboly. Après réflexion et divers essais, nous décidons de garder dans leur finition d’origine : les éclisses, nettoyées, le placage de tête, nettoyé, ainsi que toutes parties métalliques, passées au Ouator : elles ne seront, suivant le cas, ni rechromées, ni replaquées or. Les boutons en galalithe des mécaniques SB, déformés, ne seront pas refaits. La table et le manche seront revernis. Les plaques avant et arrière en celluloïd seront remplacées. La table sera repeinte dorée, gold top (il aurait probablement été impossible de refaire la finition pailletée, proche des Hagström, des versions suivantes). Nous ne voulons ni faire une guitare neuve (la patine de l’ancien sera conservée là où c'est possible) ni "reliquer" les éléments qui seront restaurés. Certaines parties seront d'époque, et d’autres seront rénovées, un peu comme on pourrait restaurer un bâtiment ancien en ruine.

 
   

 
   

 
   

 
   

 
   

 
   

 
   

Le manche et la tête :

La tête est décollée à sa jonction avec le manche. La touche, déjà décollée sur la moitié de sa longueur, ainsi que les repères rectangulaires en Nacrolaque sont déposés avec précaution. Le manche est vrillé et courbé vers l’arrière. Les deux barres de renfort en acier, oxydées, sont décapées. Elles sont collées à l’Araldite pour les solidariser au maximum à la partie arrière du manche et pour tenter de la redresser, le tout est bloqué en bonne position, pendant le séchage, dans un montage réalisé pour l’occasion.

La touche est recollée. Le manche est bien droit. Opération 100 % réussie.

Les frettes, très fines, sont pratiquement sans usure mais les filets en bord de manche, en bien mauvais état, sont changés.

 
   

 
   

 
   

Il faut refaire la peinture du manche. Nous n’avons encore jamais refait de sunburst, mais il faut bien se lancer!

Nous disposons heureusement d’un matériel de peinture correct, avec un compresseur de 100 litres et divers pistolets à peinture de tailles adéquates. Les teintes choisies se rapprochent de celles, originales, encore présentes sur les éclisses : teintures jaune et rouge de chez Gewa, peinture « rouge vin » RAL 3005, ayant servi à repeindre à l’origine une moto Jawa de 1960. Les différentes zones s’inspirent de celles de la Texas 1959 3 micros . Trois essais seront nécessaires avant que la répartition des couleurs ne nous convienne. Les filets, en bord de manche, sont traités séparément avec un vernis coloré avec de l’ocre jaune, afin de leur donner un aspect vieilli. Un vernis brillant recouvre le tout et met en valeur l’érable tigré du manche. Les repères rectangulaires sont recollés.


Nous montons des cordes sur la guitare et la faisons essayer à un ami, guitariste professionnel, afin de vérifier si elle est jouable. Verdict : très bien, pas de problème !

 
   

 
   

 
   

 
   

 
   

 
   

La table

Au décapage celle-ci laisse apparaitre, sous deux couches de grenat recouvrant presque entièrement les filets blancs (en excellent état, c’est une bonne surprise, ils seront conservés), une sous couche blanc/crème, faïencée qui s’arrête aux filets. Il s’agit probablement de la finition d’origine (on retrouve la même teinte sur les éclisses), préfigurant les tables grenat pailletées apparues vers 1961. Nous ne renonçons cependant pas à notre projet « Chats Sauvages » et la finition gold top de la table. Guitar ReRanch aux U.S.A.  propose bien des bombes aérosol, mais l’expédition par avion est interdite. Non sans difficultés, nous en trouvons finalement en Espagne mais le doré, s’il se rapproche plus ou moins de celui des Gibson Les Paul est par trop différent de celui des exemplaires connus de Texas. Nous nous rabattons sur un mélange maison de peinture dorée, “vernis bistrot” incolore et chêne doré, additionné de poudre de bronze (déjà utilisée par Roger Jacobacci pour ses guitares). Après une sous couche blanche, une première couche légèrement poncée et une deuxième couche, le résultat est tout à fait satisfaisant.

 
   

 
   

 
   

La plaque arrière

Les morceaux cristallisés restants montrent que la plaque arrière était en celluloïd imitation écaille de tortue. Une plaque de 3 mm d’épaisseur, au motif similaire à celle-ci, est commandée chez Décoracet à Oyonnax .
Une première plaque est découpée, avec un retrait d’environ 1 mm par rapport au corps, comme sur les photos de Texas que nous avons pu consulter, sans que nous soyons satisfait du résultat. Une deuxième plaque est réalisée, sans retrait cette fois-ci.

 
   

 
   

Les boutons

Toujours dans l’optique « Chats Sauvages », nous décidons de monter sur la guitare ces boutons blancs « troncs de cônes », utilisés de 1959 à 1960. Des originaux sont, bien sûr, introuvables. Qu’à cela ne tienne : nous réalisons un moule en silicone RTV à partir d’un exemplaire aimablement prêté par Gérard Beuzon, moule dans lequel nous coulons une résine polyuréthane teintée avec une poudre ocre jaune. Si la base des boutons et la cavité intérieure destinée à recevoir l’axe du potentiomètre sont sensiblement différentes des originaux, l’extérieur fait quant à lui parfaitement illusion (l'original est à gauche, la copie à droite).

 
   

 
   

 
   

 
   

 
   

 
   

 
   

 
   

Les micros et l’interrupteur

L’interrupteur est-il d’origine ? Vu son état et les découpes dans le corps, c’est tout à fait possible ! A quoi servait-il ? Un contacteur 3 positions permettant la sélection des micros ? Une sorte de Varitone, comme sur les Gibson ES-345 et 355? Pour rester encore dans l’idée Chats Sauvages, nous décidons de ne pas le remplacer et la défonce sur la table est comblée par une rondelle de bois, emmanchée et collée. Les micros sont démontés et envoyés pour restauration à Nicolas Mercadal (Benedetti). Le câblage est refait avec un réglage de volume par micro, un volume général et un réglage de tonalité.

 
   

 
   

 
   

Le logo et le numéro de série

Si vous vous reportez à la page 69 du livre Guitares Jacobacci, un atelier de lutherie à Paris, vous pouvez lire que « les premiers modèles portent le logo
Texas en lettres cursives » (photos de dessous), antérieur au logo script TEXAS (photo de dessus). Cette guitare, qui porte un logo script et le numéro 24 1 59 (janvier 1959), précède la 017 2 59 (février 1959), logo cursif et semble prouver le contraire. Difficile de dire si les deux logos ont cohabité ou si l’une des guitares a été post ou antidatée et pourquoi …

 
   

 
   

Pickguard

Nous demandons au propriétaire de la Texas 59 3 micros un patron de la plaque de protection sur papier calque avec la mention LABEL DE QUALITE, que nous voulons reproduire, ainsi que des précisions sur son épaisseur, le retrait du chanfrein et le matériau utilisé.

Le pickguard est découpé et gravé au laser dans une plaque de plexi-glass, avant d’être peint avec un reste du mélange ayant servi pour la table. Le mélange a sans doute un peu “tourné” et lui donne un aspect particulier vintage que nous décidons de conserver.

 
   

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Après 8 mois de travail, des dépenses non négligeables, de très nombreux essais, beaucoup de patience et de minutie, le projet est achevé. Nous avons eu la chance d’avoir accès à un modèle très proche dans son état d’origine. Quand ça été possible, nous avons fait appel aux meilleurs fournisseurs (Décoracet, Nicolas Mercadal). Quand cela a été nécessaire (couleur Gold Top, moulage des boutons) nous avons trouvé des solutions alternatives satisfaisantes. Le résultat est conforme à nos attentes : cette version rare du modèle Texas est restaurée et jouable. En attendant de trouver la même dans son état d’origine … et pourquoi pas, celle de Jean-Claude Roboly.

 
   
Retrouvez la page consacrée à cette guitare sur le site Internet Guitares Jacobacci.  
   
Marc Sabatier. Photos Guy Audoux et François Charle

13 avril 2014