Old ladies

          

Metro Mania: A Magnificent Obsession – November 10, 1981

Métromanie, une obsession flamboyante – 10 novembre 1981

 

     

When I was a little kid -- and when I was older, too -- I collected baseball cards. I guess I still collect them, inasmuch as I have not thrown my collection away. Presumably, neither has my mother.

Quand j’étais petit – puis quand j’étais plus grand  aussi – je collectionnais les cartes de baseball. Je suppose que je les collectionne toujours, dans la mesure où je ne me suis pas débarrassé de ma collection, ni ma mère non plus, j’espère.

But there are no baseball cards in France. They have never heard of Zoilo Versalles or Tom Satriano. Never heard of Dave Vineyard or Harmon Killebrew! And those little soccer stickers they sell are just unacceptable. There are no checklists outlining and defining and cataloging the insubstantial stickers. They are, in a collector's sense, chaotic, unappealing.

Il n’y a pas de cartes de baseball en France. Ils n’ont jamais entendu parler de Zoilo Versalles ou de Tom Satriano. Ni de Dave Vineyard ou de Harmond Killebrew ! Ces petits autocollants de football que l’on y vend sont tout simplement impossibles. Sans que rien ne permette de les classer, croiser ou regrouper de quelque façon que ce soit, ces vignettes vides de toute substance, ne présentent pas le moindre intérêt pour le collectionneur.

But the true collector (me for instance) will not be denied the perverse pleasure of piling up an assemblage of any sort for the sole purpose of having "the entire set." Mental health experts agree, this is one hallmark of the superior mind – the need to amass.

Mais on ne peut refuser au vrai collectionneur (comme moi, par exemple) la perverse satisfaction d’amasser un ensemble d’à peu près n’importe quoi dans le seul but de « les avoir tous ». Les spécialistes du cerveau sont formels, ce besoin d’amasser est la marque d’un esprit supérieur.

I have fulfilled my need with metro tickets. Yes. Those little yellow tickets that you see all over the floors of metro stations across Paris. Yes, this is what I seek in this life. And I seek with gusto.

Les tickets de métro m’ont permis de combler ce vide. Oui. Ces petits tickets jaunes qui jonchent le sol des stations de métro parisiennes. C’est ce que j’attends de la vie. Avec passion.

Nothing could be more rewarding than a lazy, under-populated Sunday spent in metros from Gambetta to Pont de Sevres searching for the more elusive ones. Mind you, I'm not collecting random tickets -- I'm collecting the ones with the names of the stations on them. This is what makes me truly happy. Right under where it says RATP, boldly, importantly, there is the name of the station where the ticket was purchased. This is not true of the bargain tickets bought in carnets of ten tickets. Not true, and those tickets are scum to me, absolutely worthless, as any collector could tell you.

Quoi  de plus gratifiant qu’un dimanche passé à paresser dans les stations désertes entre Gambetta et Pont de Sèvres à la recherche des plus rares. Je ne collectionne pas les tickets au hasard, figurez-vous – Je ne collectionne que ceux qui portent un nom de station. C’est ça mon vrai plaisir. Juste en dessous de là où il est écrit RATP, en gras, non sans une certaine importance, se trouve le nom de la station où le ticket a été acheté. Ce qui n’est pas le cas pour les carnets de 10 tickets à tarif réduit. Ce n’est pas le cas et je considère ces tickets comme de la crotte, sans aucun intérêt, ce que n’importe quel collectionneur vous confirmera.

I look in the little stainless steel trash cans for them. Yes, that is the chief source of my passion. The other people on the platform regard me with interest for a while (A well dressed young man searching through a trash can is interesting) but they lose their interest very quickly as they note the vigor with which I go about my secret and cryptic business. They note the subtle, furtive urgency. The Debussy-like sensitivity of the artistic fingers. The care. And when the Lord favors me, and I find something like, say, a Botzaris, well, they stand back respectfully. Yes. They see the joyous beam of that light that can come from nowhere else. And -- it's unfortunate and I know it -- they worriedly ponder the possibility that perhaps they have not made the right life choices. I would tell these wayward souls “It’s never too late!”

Je les cherche dans ces petites poubelles en acier inoxydable. Oui, c’est là la source principale à laquelle j’abreuve ma passion. Les autres gens sur le quai m’observent pendant quelques temps, intéressés (un jeune homme bien habillé qui fouille dans les poubelles, en effet, c’est intéressant) mais se lassent rapidement quand ils se rendent comptent avec quelle frénésie j’accomplis cette tâche secrète et obscure. Ils sont conscients de cette urgence subtile, furtive. De ce touché artistique, hypersensible, à la Debussy. Du soin apporté. Et si les dieux me sourient et que je mette la main sur, disons, un Botzaris, ils se tiennent  alors à une distance respectueuse. Oui. Ils perçoivent ce rayon de lumière qui ne peut venir de nulle part ailleurs. Et – j’en ai conscience, malheureusement pour eux—s’interrogent peut-être pour savoir s’ils ont fait les bons choix dans leur vie. La seule chose que je puisse dire à ces âmes en errance c’est qu’il n’est « jamais trop tard ».

I have to go through thousands of tickets before I get anything worthy. Carnet tickets (generic and nameless) account for about 90% of the trashcan population. And all of those stations that I already have tickets for -- well they (the duplicate tickets) can just kiss my ass, because I don't need them anymore. Too late, babe!

Je dois trier des milliers de tickets avant de tomber sur quelque-chose d’intéressant. Les carnets de tickets (génériques, anonymes), constituent près de 90% du contenu des poubelles. Et les tickets des stations que j’ai déjà – et bien ils (les tickets en double)  peuvent aller se faire voir. Je n’ai plus besoin d’eux. Trop tard, mon gars !

Anywho,  it's really a tedious business going through those trash cans, but it means the world to me. The love is there: Filles du Calvaire, Dugommier, Ourcq. I love these musical words. Daumesnil, Iena, Balard! But they are so hard to find. One must want this. Sometimes there are cigarette ashes, water, or stuff that looks like marmalade on my tickets. This makes me very angry. At times I lash out at a guiltless, though nearby voyager.

Si l’inspection  de toutes ces poubelles constitue un travail fastidieux, elle représente cependant  tout pour moi. L’amour est là. Filles du Calvaire, Dugommier, Ourcq. J’aime la musique de ces mots. Daumesnil, Iéna, Balard ! Ils sont si difficiles à trouver. Il faut vraiment en vouloir. Il arrive que mes tickets soient couverts de cendres, d’eau ou de de quelque chose qui pourrait être de la confiture. Ce qui me met dans une colère noire. Il m’arrive de fusiller du regard un innocent usager dont le seul tort se trouver là.

Sometimes a thoughtless rider will rip his ticket up at the conclusion of the ride, just like someone who would shoot a buffalo from a train and leave it to rot. These people are sick, because they think only of themselves. Once their desires are sated, the ticket means nothing. One day I went to the Liege station. As you know it's on line 13, between Place Clichy and Saint-Lazare. Liege is one of the two metro stations (the other is Rennes) that close on Sundays. I knew that if I could get a Liege ticket, then I could get anything.

Il arrive qu’un voyageur inconscient déchire son ticket à la fin de son voyage, comme quelqu’un qui aurait tiré sur un bison depuis la fenêtre d’un train et laisserait sa carcasse pourrir. Ces gens sont dérangés, ils ne pensent qu’à eux. Une fois leur désir assouvi, le ticket ne représente plus rien pour eux. J’étais une fois à la station Liège, qui se trouve, comme vous le savez, sur la ligne 13, entre Place Clichy et Saint-Lazare, une des deux stations de métro, avec Rennes, fermées le dimanche. Je savais que si je pouvais mettre la main sur un ticket Liège alors je pourrais avoir n’importe quel autre.

It was a fruitless, three-hour investment. I  went up and down line 13, but again and again I was refused the visceral, almost sexual pleasure that I had been so confident of. But I did not go to bed that night a beaten men. "Liege can kiss my ass," I thought comfortably. "When she sees what I've done with all those other tickets, she'll be begging for it – begging to belong! There will be Liege tickets all over the place," I chortled quietly and went into a beautiful, white-tiled sleep.

Ça a été  trois heures d’efforts aussi  intenses que vains. J’ai parcouru la ligne 13, toujours et encore, dans les deux sens, sans ressentir le plaisir viscéral, quasi sexuel, que je me croyais promis. Je ne me suis pas couché battu cette nuit-là. « Liège peut aller se faire voir » pensais-je plein d’assurance. « Quand il verra ce que j’ai fait pour les  autres tickets, il me suppliera, il me suppliera d’en faire partie ! Il y aura des tickets Liège absolument n’importe-où ». Je me suis endormi en gloussant, d’un sommeil magnifique et immaculé.

There are 291 metro stations in Paris, from terminus to terminus. Strasbourg-St. Denis is the ugliest. There are also some incredible ones in the east of Paris -- metros that nobody goes to ever. The Louvre metro is flashy and I hate it. The whole of line no. 1 repulses me. All the famous stops are on that line. Concorde, Louvre, Chatelet, blah, blah, blah. Big deal. Give me a nice ride on line no. 7 to Fort d'Aubervilliers. Riquet, Crimee, Stalingrad! You see? Underground poetry.

Il y a 291 stations de métro à Paris, de terminus à terminus. Strasbourg-St. Denis est la plus laide. Quelques-unes dans l’est parisien, là où personne ne va jamais, sont aussi incroyables. La station du Louvre est flashy et je la hais. Toute la ligne n°1 me fait horreur. Toutes les stations célèbres s’y trouvent. Concorde, Louvre, Chalet, bla-bla-bla. La belle affaire. Parlez-moi plutôt d’une belle course sur la ligne n°7 vers Fort d’Aubervilliers, Riquet, Crimée. Stalingrad. Vous voyez? La poésie du métro.

 I have tickets from over half the metro stations. I have 155 tickets. I especially want a Colonel Fabien, and of course a Liege. The left bank of the Seine has many metros that are virgin to me. But this will change. They will learn. I will soon consecrate the bond of obedience. I will never buy a ticket. I could always pay three and a half francs for a Liege ticket, but it's not the same when you buy. They must come to you willingly. And, in some trash can out there, she is waiting patiently, burning for my first touch. Waiting expectantly as she hears the first rustle of a warm friendly hand, gently pushing aside Le Figaro, lifting with infinite softness that vomity Pariscope, until urgent, electrifying contact has been made. Majestic Triumph. She is mine and now she will join all the others from line 13, where she belongs.

J’ai les tickets de plus de la moitié des stations de métro. J’en ai 155. Je veux absolument mettre la main sur un Colonel Fabien et bien sûr sur Liége. Beaucoup de stations de la rive droite me sont encore inconnues. Mais ça va changer. Elles vont perdre leur virginité. Je ne tarderai pas à les soumettre. Je n’achète jamais de tickets. Je peux me payer un ticket Liège pour 3.50 F mais ce n’est pas pareil si on les achète. Il faut qu’ils viennent à moi de leur plein gré. Et ils m’attendent patiemment dans quelque poubelle, brulant d’entrer à mon contact. Attendant plein d’espoir le premier bruissement d’une main amicale, poussant doucement Le Figaro de côté, soulevant avec une infinie douceur l'infâme Pariscope, jusqu’à ce qu’à ce produise le contact, électrique et urgent. Triomphe majestueux. Il est à moi et ne tardera pas à rejoindre les autres de la ligne 13, là où est sa place.

I have tried earnestly to get my few friends to realize the inherent grandeur in my project. But they are pursuing their own hedonistic life goals; Nothing I say can help them or open their eyes. They really don't care and they tell me so, just like little children who say they don't like Goethe or Matisse. I can only feel the sorrow and the pity for them, and neighborly-like, I do what I can by leaving my duplicate tickets in their mailboxes, hoping that when they see that lovely block lettering....I'm only hoping for a spark of interest, a flicker, if you get my point.

J’ai essayé de mon mieux de convaincre mes quelques amis de de la grandeur inhérente à mon projet. Impossible de les détourner des buts hédonistes qui sont les leurs ; rien que je puisse dire ne peut ouvrir leurs yeux ou les aider. Ça ne les intéresse vraiment pas et ils ne se privent pas de me le faire savoir, tout comme un enfant vous dirait qu’il n’aime pas Goethe ou Matisse. Je ne ressens pour eux que chagrin et pitié et, en toute amitié, autant que je peux, je confie mes doubles à leurs boites-aux-lettres en espérant qu’ils remarqueront les blocs de cette police adorable  ... je n’espère qu’une étincelle d’intérêt, un frémissement, si vous voyez où je veux en venir.

My teachers likewise have failed to see the academic value in such a project. I am trying at this moment to get college credit for this noble geographic quest, but my school's officials have only mocked me cruelly. Cretinous boobs. The infidels will rule the day; This constant resistance can only serve to whet my appetite for that final big meal. That last supper. That last complete, yellow and beautiful No. 291!

Mes professeurs non plus n’ont pas saisi l’intérêt académique que pouvait présenter ce projet. J’essaie en ce moment de faire valider ces recherches par l’Université mais je n’ai récolté de mes maitres que de cruelles moqueries. Connards. Les mécréants font la loi de nos jours; cette résistance ne peut qu’aiguiser mon appétit pour le plat de résistance. Le Graal. Le dernier, jaune et magnifique, le n°291 !

O.K. I've let my studies slide and maybe I've put on a little weight. Maybe I don't sleep very much. And I am starting to drink a lot and not shave and not take too many showers, either. And I don't speak with other people anymore unless it concerns those metro tickets. But I submit that it is not ruining me. Rather that it is a sort of moral transcendence, a key to a certain sleazy immortality, if you will. A way to escape that final inescapable paradoxical prison that is mankind. I will triumph.

OK. J’ai laissé tomber mes études et j’ai sans doute pris un peu de poids. Peut-être que je ne dors plus beaucoup. Et je commence à boire pas mal et à ne plus me raser ni prendre trop de douches. Et je ne parle plus aux autres à moins que cela concerne les tickets de métro. Mais je soutiens que ça ne ruine pas ma vie. C’est plutôt une sorte de transcendance morale, la clé d’une sorte d’immortalité sordide, si vous voulez. Un moyen d’échapper à cette prison paradoxale et sans issue qu’est l’humanité. Je vaincrai.

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     
Drew Weaver

Traduction Marc Sabatier

 

19 juillet 2015

     

Drew Weaver est arrivé à Paris à l’automne 1980 pour étudier à l’Université Américaine de Paris, avenue Bosquet. Il a écrit de nombreux articles de 1981 à 1984 pour « The Planet », le journal de l’université. Il a fondé en 1982 un groupe de rock, les Surf Piranhas (Drew Weaver, guitares et chant, Joe Petrovitch, guitares et chant, Tony Leventhal, basse et chant et Gilles Frégé, batterie).C’est à cette occasion qu’il a fait la connaissance des frères Jacobacci. Les Surf Piranhas ont enregistré chez Coluche et sorti un album, Both Sides of the Surf chez Underdog, le label de Dominique Lamblin et Marc Zermati en 1984. Il a été diplômé en juin de la même année puis a travaillé comme barman chez Conway au 73 de la rue St Denis de 1985 à 1989. Il a écrit à cette occasion un journal de 300 pages retraçant au jour le jour les expériences d’un barman parisien. L’album des Surf Piranhas ainsi que ceux des Alvarados, le groupe américain de Drew, sont disponibles en CD.

   

 

   
     

   

Les Surf Piranhas - Photo Béatrice Makowski

   
     

   

Les Surf Piranhas et Coluche - Photo Béatrice Makowski